Algues vertes : obligation de réduction du nitrate

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EUROPE

Thomas dos Remedios

5/10/20255 min temps de lecture

La décision du tribunal administratif de Rennes du 13 mars marque un tournant majeur dans la lutte contre les marées vertes qui polluent le littoral breton depuis plus de cinquante ans. En ordonnant à la préfecture de la région Bretagne de prendre des mesures concrètes pour réduire efficacement la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole, la justice reconnaît l’insuffisance des politiques publiques mises en place jusqu’à présent.

Cette décision a été saluée par l’association Eau et rivières de Bretagne, qui avait saisi le tribunal en octobre 2022 après l’inaction des autorités. Son secrétaire général, Nicolas Forray, qualifie ce jugement de « victoire » et de « première étape » vers une amélioration tangible. Toutefois, il souligne que cette avancée ne sera réellement significative que si des mesures concrètes sont prises dans les délais impartis.

UN ENJEU SANITAIRE MAJEUR

Les algues vertes, qui prolifèrent sur les côtes bretonnes depuis les années 1970, sont le résultat direct de la pollution aux nitrates provenant essentiellement de l’agriculture intensive. Selon un rapport de la Cour des comptes et de la chambre régionale des comptes publié en 2021, la politique de lutte contre ces marées vertes est jugée inefficace, notamment en raison d’objectifs mal définis et d’un manque de cohérence avec les politiques agricole et environnementale.

Le tribunal souligne que, malgré les efforts déployés, la concentration moyenne en nitrates dans les cours d’eau bretons diminue plus lentement qu’auparavant et que les huit baies concernées par le plan de lutte contre les algues vertes dépassent toujours le seuil réglementaire de 18 mg/L. Au-delà des nuisances visuelles et olfactives, cette pollution pose un véritable danger sanitaire. La décomposition des algues vertes entraîne l’émission d’hydrogène sulfuré (H₂S), un gaz toxique pouvant être mortel à haute dose.

Récemment, le procureur de Brest a confirmé que la mort d’un sanglier sur une plage des Côtes-d’Armor en septembre 2024 était liée à ce gaz. Des cas de malaises, d’intoxications et même des décès humains ont été suspectés par le passé, notamment celui d’un joggeur en 2016 dans la baie de Saint-Brieuc, bien que l’absence d’autopsie rapide ait empêché toute conclusion définitive.

LES HABITANTS ET LEURS ÉLUS IMPUISSANTS

À Hillion, l’une des communes les plus touchées par ce fléau, la maire Annie Guennou exprime son désarroi. En fonction depuis 2022, elle a dû ordonner la fermeture de plusieurs plages à cause de niveaux dangereux d’hydrogène sulfuré. Déplorant l’absence de réponse efficace de l’État, elle affirme que les services préfectoraux lui recommandent de maintenir les plages fermées tout l’été, ce qu’elle juge insuffisant et inacceptable. Son sentiment d’abandon la pousse même à envisager sa démission.

Les habitants, eux aussi, sont partagés entre résignation et colère. Certains, comme le couple Buard, expriment leur lassitude face aux odeurs pestilentielles et aux désagréments liés aux algues vertes. D’autres, à l’instar de Corentin Fleury, minimisent la gravité de la situation, habitués à cohabiter avec ces nuisances. Toutefois, les inquiétudes sanitaires persistent, et nombre d’entre eux se plaignent de maux de tête, d’irritations et de troubles respiratoires.

UNE BATAILLE JURIDIQUE ARDUE

Si la décision du tribunal représente une avancée, elle ne met pas fin au combat judiciaire. Eau et rivières de Bretagne avait également demandé une astreinte d’un million d’euros par mois en cas de retard dans l’application des mesures, requête rejetée par la justice. Toutefois, l’association reste vigilante et promet de saisir à nouveau le tribunal si l’État ne respecte pas le délai de dix mois qui lui a été imposé.

Le second recours introduit par l’association visait à faire reconnaître la responsabilité de l’État dans le préjudice écologique causé par son inaction. Le tribunal a partiellement répondu à cette demande en condamnant l’État à verser 5 000 euros à l’association, tout en reconnaissant que les carences dans la lutte contre les marées vertes ont bien causé un préjudice écologique.

Inspiré de « L’Affaire du Siècle », ce recours s’inscrit dans une stratégie plus large visant à faire évoluer le cadre juridique de la responsabilité environnementale de l’État. De son côté, la préfecture de Bretagne a déclaré prendre acte de la décision et examiner les suites à y donner, sans exclure un éventuel appel. Cette réaction prudente traduit une certaine réticence des autorités à s’engager fermement dans une refonte des politiques agricoles, pourtant jugée indispensable par de nombreux experts et militants.

UN MODÈLE AGRICOLE REMIS EN CAUSE

L’un des principaux enjeux soulevés par ce dossier est la remise en cause du modèle agroalimentaire breton. Responsable de plus de la moitié de la production porcine française sur seulement 5 % du territoire national, l’agriculture bretonne est pointée du doigt pour son impact environnemental. Yves-Marie Le Lay et André Ollivro, deux figures historiques de la lutte contre les marées vertes, dénoncent l’omerta qui règne sur le sujet. Ils réclament une enquête parlementaire pour établir les responsabilités et forcer l’État à agir.

Monique, une habitante d’Hillion, résume le dilemme local : « Nous produisons pour exporter en Chine, et en retour, nous héritons de cette catastrophe écologique. Est-ce bien raisonnable ? » Une réflexion qui fait écho aux critiques formulées par la Cour des comptes et par de nombreux scientifiques, appelant à une réforme en profondeur du secteur agricole.

Pourtant, le poids économique de l’agriculture freine toute remise en question. Beaucoup d’habitants travaillent dans le secteur et hésitent à blâmer une industrie qui fait vivre la région. L’équilibre entre économie et environnement reste fragile, et la décision de justice, bien qu’importante, ne suffira pas à elle seule à résoudre ce problème systémique.

La décision du tribunal administratif de Rennes représente donc une victoire symbolique et une avancée significative dans la reconnaissance de la responsabilité de l’État face aux marées vertes. Cependant, elle ne met pas un terme à la crise environnementale et sanitaire qui frappe la Bretagne depuis plusieurs décennies.

Le véritable enjeu réside dans l’application effective des mesures ordonnées et dans la mise en place d’une politique agricole durable. L’avenir dira si cette décision constitue une simple étape judiciaire ou le début d’une véritable transformation du modèle agricole et environnemental breton.

Thomas dos Remedios, pour SPECTIO

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