Kaliningrad, exclave russe au pied de la mer Baltique, perdure depuis des siècles, sous différents noms et identités. La « Russie Baltique », ou encore le « territoire de l’ambre », inscrit le territoire dans une dynamique stratégique et industrielle. Son passé illustre le fondement de la richesse culturelle du territoire à ce jour. D’abord fondée et détenue par l’ordre teutonique au XIIIᵉ siècle, Königsberg fut construite à la suite de la conquête des territoires prussiens baltes. Puis, la ville et la région furent détenues par les Allemands jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
À la suite de celle-ci, le territoire fut annexé par l’URSS, suite à la conférence de Potsdam et ses accords du même nom. En 1946, la ville principale fut nommée Kaliningrad et donna son nom à l’exclave, en l’honneur de Mikhaïl Kalinin, un proche de Joseph Staline. La population allemande fut expulsée et remplacée par des Soviétiques. La région resta russe suite à la chute de l’URSS et devint ce que nous connaissons aujourd’hui.
Ce bastion stratégique russe, tant pour son économie que pour son emplacement, demeure-t-il solide ou est-il en sursis ?
Une enclave vulnérable sous pression géopolitique
Situé entre le nord de la Pologne et le sud de la Lituanie, Kaliningrad est bien loin des terres russes, ce qui complique l’accès. Celui-ci se fait par un partenaire en particulier : la Biélorussie. Une zone nommée « Corridor de Suwalki », de seulement 65,4 kilomètres de large, la sépare. Elle est donc hautement stratégique, surtout depuis le début du conflit en Ukraine, car, en contrôlant ce territoire à cheval sur la Pologne et la Lituanie, l’Europe peut se permettre de couper l’accès terrestre russe à son exclave. Suite à la fermeture des points de passage du couloir, l’OTAN a mis en exergue l’importance d’en contrôler la dynamique. Dès lors, l’alliance a mis sur pied nombre d’exercices – tels que « Defender Europe » – dans l’objectif de prévenir une possible avancée russe sur le territoire.
D’autre part, la plupart des moyens préexistants sont en place afin de pouvoir communiquer avec la métropole. La gare de Kaliningrad-Passajirski est desservie par une ligne stratégique traversant la Lituanie, qui elle-même a coupé l’accès de certains trains depuis le début du conflit, entraînant la privation de certains biens en provenance de la capitale. Des moyens de transport alternatifs ont été trouvés par le gouvernement, essentiellement par le biais de l’aéroport de Kaliningrad-Élisabeth Petrovna. Rénové avant la Coupe du monde de football en 2018, il est fréquemment utilisé par les ministères et les grandes sociétés russes. Par ailleurs, le littoral Baltique permet la continuité du transport maritime russe avec ses partenaires.
Malgré les sanctions, le commerce international perdure pour la Russie, qui parvient tout de même à maintenir son économie à un niveau convenable. Il faut tout de même rappeler que la Lituanie a drastiquement restreint le trafic ferroviaire russe avec l’exclave, ce qui a entraîné une baisse de plus de 50 % des flux de fret entre les deux entités russes. Cependant, la Russie use de ses produits rares, tels que l’ambre et les matières premières, afin d’assurer sa pérennité économique. On peut même affirmer le développement d’une véritable économie parallèle à ce que nous connaissions précédemment.
L’énergie est une ressource centrale à Kaliningrad, car sans elle, l’exclave peut se retrouver coupée du monde. La Russie l’exportait énormément vers les pays européens, un volume qu’elle a reconsidéré depuis le début de la guerre en trouvant de nouveaux partenaires. Le petit territoire nécessite, d’un autre côté, un apport considérable en électricité, qu’elle se procurait dans les pays baltes. Mais la déconnexion progressive, suite à l’invasion en Ukraine, devient une menace d’isolement. La Russie a donc investi dans la construction de centrales électriques pour s’auto-alimenter, saisissant ainsi l’opportunité de créer une exclave totalement autonome.
Un rôle stratégique en Baltique
Une mer, une région, une stratégie pour la Russie. En effet, l’exclave lui donne un avantage majeur : l’accès à une mer chaude. Le littoral de Kaliningrad peut être utilisé toute l’année par les bateaux civils, commerciaux et militaires russes. Un avantage non négligeable quand on connaît les étendues de glace en Sibérie…
Mais le pays fait surtout face au conseil de la mer Baltique et à la présence de bases et de troupes de l’OTAN de plus en plus importantes. Au-delà d’être le chef-lieu européen de la flotte russe, Kaliningrad abrite également des systèmes de missiles très avancés, constituant une menace directe pour les forces occidentales. Cet ensemble de missiles a permis à la Russie de développer une stratégie A2/AD (Anti Access / Area Denial) dans la région au fil des années. En outre, le contrôle du territoire est assuré par environ 30 000 hommes, soit assez peu au regard des capacités militaires de la Russie.
Cette concentration de moyens militaires dans l’exclave mène les pays environnants dans une boucle de surveillance accrue. Pour illustrer mon propos, en novembre 2024, les États ont fait face à une rupture de câbles sous-marins reliant la Finlande à l’Allemagne, et la Lituanie à la Suède pour le second cas. La Russie a donc été soupçonnée et, dès lors, un renforcement drastique des moyens militaires dans la région fut constaté. D’autres événements ont entraîné une intensification des mesures de protection des infrastructures critiques en mer Baltique.
Puisqu’il faut le rappeler, cette zone est un point de surveillance et de renseignement majeur dans le monde. En effet, durant le mois d’août 2024, des survols de drones non identifiés au-dessus de l’Allemagne ont été signalés, alimentant ainsi les inquiétudes à l’égard de la Russie et de son exclave européenne. Car la position stratégique de Kaliningrad n’est pas anodine et permet à la Russie de récolter des informations à la fois sur l’OTAN et sur les mouvements civils et militaires en Baltique.
L’affirmation de la puissance russe à travers Kaliningrad
Cette puissance concentrée dans un si petit territoire mène à des démonstrations de force, autant pour conforter certains que pour déstabiliser les autres. La Russie mise sur le développement et la modernisation de son arsenal technologique et militaire au sein de l’exclave. Elle a notamment modernisé l’ensemble de ses capacités de dissuasion nucléaire, qui, rappelons-le, sont parmi les plus importantes au monde. Elle renforce ainsi le caractère offensif de sa position stratégique régionale, poussant l’OTAN à se déployer, par crainte pour ses États membres limitrophes.
L’année dernière, des actions de sabotage, tels que des incendies, ont été attribuées par les pays européens à la Russie. Ces actions démontrent la capacité du pays à déstabiliser ses adversaires depuis l’exclave par des moyens perçus comme non conventionnels par l’Europe. Kaliningrad est donc utilisé comme un avant-poste pour ces opérations à l’encontre des pays de la mer Baltique. Il existe, comme nous le voyons, une perception européenne négative envers ce territoire enclavé entre États européens, ainsi qu’une volonté de les rendre inutilisables.
Une pression diplomatique se met en place des deux côtés, notamment une réaction russe aux sanctions décrétées par la Lituanie sur le trafic ferroviaire en 2022. La Russie utilise donc son territoire à son avantage, comme un moyen de pression – une technique plutôt efficace, car Kaliningrad est plus que bien exploité et dessiné à cet égard depuis la fin de la guerre froide. Le pays cherche à utiliser la position stratégique de l’exclave pour acquérir des concessions de la part de l’Occident, ce qui fonctionne assez bien. Une stratégie payante pour le géant eurasiatique, qui sait, depuis la nuit des temps, utiliser son territoire – le plus vaste du monde – à son avantage dans sa stratégie de positionnement géopolitique.
César Euvrard, pour SPECTIO
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