Identité maorie en Nouvelle-Zélande : l’héritage biculturel source de tension politique

La Nouvelle-Zélande traverse une période de turbulences politiques et sociales qui remettent en question les fondements même de son identité. Depuis la signature du traité de Waitangi en 1840, le pays s’est construit sur une reconnaissance biculturelle fragile mais essentielle, où les droits des Maoris coexistent avec les institutions héritées de la Couronne britannique. Aujourd’hui, cette harmonie vacille sous l’effet d’un projet de loi controversé porté par des forces libertariennes. Entre crise identitaire, inégalités persistantes et mobilisation historique, la société néo-zélandaise se trouve à un tournant crucial. Les débats qui émergent dépassent les frontières de l’archipel, posant une question universelle : comment concilier héritages culturels et aspirations à l’égalité dans un monde en pleine mutation ?

Le projet de loi libertarien proposé par David Seymour, chef du parti ACT, constitue une remise en cause majeure des fondements biculturels de la Nouvelle-Zélande. Il vise à réinterpréter le traité de Waitangi, signé en 1840 entre la Couronne britannique et les chefs maoris, qui a longtemps établi un précieux équilibre entre les droits autochtones et les structures gouvernementales du pays. Ce document fondateur garantit aux Maoris des droits sur leurs terres, ainsi que la protection de leurs traditions et pouvoirs. Depuis sa signature, le traité de Waitangi est devenu une pierre angulaire du modèle sociétal néo-zélandais, souvent cité comme une référence dans les luttes internationales pour les droits des peuples autochtones.

Pourtant, cette tentative de modifier le traité suscite de profondes inquiétudes quant à une possible déstabilisation identitaire. L’idée de s’éloigner de la biculturalité pour une approche supposément égalitaire, à travers laquelle les droits garantis par le traité seraient étendus à tous les citoyens, ignore les réalités historiques et les discriminations systémiques subies par les Maoris. Cette proposition risque de miner les acquis durement obtenus en faveur de la reconnaissance culturelle et politique des Maoris, accentuant ainsi les divisions communautaires. Les critiques les plus virulentes soulignent que ce projet de loi adopte une posture populiste qui fait écho à des mouvements politiques observés ailleurs dans le monde, comme l’ascension de Donald Trump aux États-Unis. Il remet en question l’importance de l’expertise juridique et l’héritage juridique du traité, allant jusqu’à proposer de réviser les décisions judiciaires des années 1960 et 1970, qui avaient réparé certaines injustices historiques envers les tribus maories. Cette crise identitaire met donc à l’épreuve la capacité du pays à maintenir une société inclusive et respectueuse de ses racines.

Malgré les progrès réalisés ces dernières décennies, les Maoris continuent de souffrir de profondes inégalités sociales, économiques et sanitaires en Nouvelle-Zélande. Les statistiques révèlent une réalité alarmante : l’espérance de vie des hommes maoris est inférieure de huit ans à celle de la moyenne nationale, et de sept ans pour les femmes. De plus, les taux de pauvreté, de chômage et d’incarcération sont nettement plus élevés chez les Maoris que chez les autres groupes ethniques. Ces disparités s’explique en partie par une histoire marquée par la colonisation, l’expropriation des terres et une marginalisation sociale persistante. Les réformes engagées sous les gouvernements précédents, notamment ceux dirigés par Jacinda Ardern, avaient tenté de réduire ces inégalités en promouvant la langue maorie, en instaurant des politiques de cogestion et en renforçant l’accès aux soins pour les communautés autochtones.

Cependant, le gouvernement actuel dirigé par Christopher Luxon a pris un virage à droite en révoquant plusieurs de ces politiques progressistes. Sous la pression des libertariens d’ACT, le Premier ministre a annoncé l’abrogation de mesures favorisant les Maoris dans les domaines de la santé, de l’emploi de la langue maorie et de la gestion des services publics. Cette stratégie est perçue par beaucoup comme une tentative de démanteler les avancées durement acquises, tout en ignorant les conditions réelles de vie des populations autochtones. Debbie Ngarewa-Packer, codirigeante du Te Pati Maori, a souligné cette contradiction : « Nous ne pouvons pas vivre de manière égale si un peuple, les autochtones, vit ‘moins’ ». Cette déclaration reflète une vérité profonde : sans la prise en compte des inégalités structurelles, l’égalité devant la loi reste un concept vide de sens.

Face à cette offensive politique, la société néo-zélandaise a réagi avec une mobilisation sans précédent. Le 19 novembre, environ 35 000 personnes, selon la police, se sont rassemblées devant le Parlement de Wellington pour protester contre le projet de loi libertarien. Cette manifestation, la plus importante depuis des décennies, a rassemblé des Néo-Zélandais de toutes origines, Maoris comme non-Maoris, dans une démonstration spectaculaire de solidarité.

Le hikoi, marche de protestation traditionnelle, a été au cœur de cette mobilisation. Pendant neuf jours, des participants ont parcouru des centaines de kilomètres depuis la pointe nord de la Nouvelle-Zélande jusqu’à Wellington. Drapés dans des manteaux de plumes traditionnels, certains manifestants exécutaient des hakas, tandis que des cavaliers brandissaient des drapeaux. Ce cortège multicolore et pacifique a illustré la profondeur du rejet du projet de loi par une large partie de la population. L’image de Hana-Rawhiti Maipi-Clarke, jeune députée maorie de 22 ans, déchirant le texte controversé devant l’Assemblée avant d’entamer un haka repris par une grande partie des parlementaires, est devenue emblématique. Cet acte courageux symbolise la résilience et la détermination du peuple maori face aux tentatives de remise en cause de leurs droits.

Bien que le Premier ministre Christopher Luxon ait déclaré que le projet de loi ne serait pas adopté en seconde lecture, la crainte demeure. Certains évoquent la possibilité d’un référendum national, semblable à celui organisé en Australie en octobre 2023, qui avait conduit à un rejet des propositions en faveur des Aborigènes et exacerbé les divisions dans le pays.Malgré ces incertitudes, une chose semble claire : la société néo-zélandaise reste profondément attachée à son identité biculturelle. Le succès du hikoi et la mobilisation massive de la population témoignent de l’importance accordée au respect des droits des Maoris. Pour Alexander Gillespie, professeur de droit à l’université de Waikato, cette mobilisation est un message clair adressé au gouvernement : « La biculture reste essentielle au cœur de la société. »

Les retombées de cette crise identitaire et sociale vont bien au-delà des manifestations actuelles. Le projet de loi libertarien, bien qu’affaibli, a mis en lumière un débat latent sur l’avenir constitutionnel du pays. Certains analystes prédisent que cette période de contestation pourrait marquer le début d’une refonte plus large des institutions néo-zélandaises, incluant potentiellement une nouvelle définition des relations entre la Couronne et les peuples autochtones. L’opposition maorie envisage désormais des actions juridiques pour renforcer les garanties offertes par le traité de Waitangi et empêcher tout affaiblissement de ses dispositions. De même, des collectifs citoyens se forment pour plaider en faveur d’une reconnaissance constitutionnelle explicite des droits autochtones, à l’image de ce qui a été tenté en Australie.

Pour le gouvernement, les mois à venir seront déterminants. Christopher Luxon devra non seulement gérer les tensions internes à sa coalition, mais aussi trouver un moyen de restaurer la confiance avec les communautés autochtones et leurs alliés. Des compromis politiques pourraient émerger, notamment autour de la cogestion des ressources naturelles et de la préservation du patrimoine culturel maori. Cette situation complexe soulève une question cruciale : la Nouvelle-Zélande parviendra-t-elle à tirer des enseignements de cette crise pour bâtir une société plus équitable et résiliente ? L’histoire récente montre que les Néo-Zélandais savent faire preuve de pragmatisme et de solidarité face à l’adversité. La mobilisation historique du hikoi en est une preuve éclatante. Reste à voir si cette dynamique se traduira par des avancées durables sur le plan politique et sociétal.

Thomas DOS REMEDIOS, pour SPECTIO



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