Neom, projet majeur du siècle, ou faillite ?

Quand on se penche sur les villes futuristes, leurs moyens de transports, leurs nouvelles technologies et intégrations au cyber-espace, ou encore leurs designs, on en conclut qu’elles vont modeler l’avenir. Mais que signifie vraiment le fait de façonner l’avenir ? Pouvons-nous même savoir de quelle manière le monde sera fait à l’avenir ? Pour Abraham Lincoln, « le meilleur moyen de prédire l’avenir, c’est de le créer. » Une phrase qui conviendrait à merveille au prince héritier d’Arabie Saoudite, ainsi qu’à son nouveau projet pharaonique : NEOM.

Projet futuriste de 26 500 m2 lancé en 2017 par Mohammed Ben Salman, dans la province de Tabuk au nord-ouest du pays. NEOM, qui résulte de l’association du mot grec « neos » pour  nouveau, et du « m » pour mustaqbal (futur en arabe). Le projet est, à ce jour, décomposé en 4 sous-projets : Magna sur la côte du golfe d’Aqaba, Trojena la station de ski de haute montagne, Oxagon le centre d’affaires de la région, et enfin le fameux « The Line ». Avec un horizon à 2030, et un budget de plus de 500 millions de dollars, l’Arabie Saoudite compte bien se transformer en un nouveau centre d’échanges technologique et économique.

L’objectif premier étant de sortir de la dépendance abusive du pays à son pétrole, NEOM a pour but de hisser l’Arabie Saoudite en leader régional innovant. Cela permettrait au pays de renouveler son image qui jusqu’à présent était très liée à l’or noir. Cette image moderne et progressiste à laquelle aspire Mohammed Ben Salman depuis plusieurs années, vise à attirer les talents du monde entier, et à leur créer un environnement propice aux affaires. De nombreuses réformes écologiques et technologies vertes s’additionnent pour pallier aux nouvelles préoccupations internationales en matière de normes environnementales.

Ce projet se manifeste de manière très pertinente en vue du contexte actuel de la région. Avec le succès de Dubaï, ville majeure de la région, très stratégique depuis plusieurs années, le prince héritier ne peut qu’être confiant vis à vis de son projet fleurissant. Celui-ci sera érigé en bouclier économique, et vecteur de stabilité pour la région frappée par les conflits. Le projet attirant depuis son lancement de nombreux investissements étrangers montre une forme d’optimisme du monde pour la région, et ne peut être que bénéfique pour elle.

Par ailleurs, nous sommes en droit de nous demander si NEOM est un projet réalisable dans les budgets et délais prévus. Mais aussi comment seront gérés les critiques liés aux droits humains, et notamment au déplacement de populations locales. Le projet, deviendra-t-il un centre économique et technologique mondial, ou va-t-il se transformer en gouffre financier ? Le développement, sera-t-il vecteur de stabilité dans la région, ou aura-t-il un effet inverse ? Quels seront les réels impacts de ce projet sur le pays, la région, ou encore le monde ?

NEOM est avant toute chose un « mega-projet », et ce dans tous les aspects qui le concernent, de la construction, aux moyens employés, et en passant par les perspectives de nouvelles techniques de transports, de paiement, ou encore d’éducation. Aucun doute, si le projet arrive à terme, il restera dans les mémoires, et permettra à l’Arabie Saoudite de changer de catégorie à l’international. Mais au-delà de son extraordinaire rendu final, et de ses prouesses techniques, NEOM est aussi hautement stratégique pour la région, et pour son dirigeant. Se portant à la rive de la mer Rouge, dans le golfe d’Aqaba, sa position stratégique lui permet de dominer l’un des points de passage les plus surveillé et décisif de la planète. Mais alors NEOM : Enjeu géopolitique et économique planétaire pour le pays, ou déclencheur de nouvelles tensions régionales ?

Comme auparavant décrit dans l’introduction, il est difficile de dissimuler l’objectif premier de Mohammed Ben Salman avec son projet NEOM. Il est bien évident qu’il consiste à faire rayonner son pays, et à le placer à une place prééminente à l’échelle du globe. Mais se hisser aux rangs des plus grandes puissances historiques telles que la France, la Russie, ou les USA n’est pas donné à tous. Comme le dit le célèbre proverbe français, « il faut toujours avoir les moyens de ses ambitions », et les moyens, ils les ont. Avec un fond d’investissement du plus de 80 milliards de dollars, une introduction en bourse de la société gestionnaire du projet, et un budget annuel de l’État Saoudien, NEOM sera financé à 100% par le biais de l’Arabie Saoudite, et des investissements privés étrangers. Le pays pourrait donc devenir une place centrale du commerce et de la géopolitique régionale, car proche des frontières égyptiennes et jordanienne, NEOM renforcera le commerce et les relations entre ces pays tiers. Grâce à cette interconnectivité régionale, l’Arabie Saoudite se transformera en point de passage obligatoire du Moyen-Orient. Cependant, cette connectivité engendrera certainement de nouvelles rivalités, qui risquent d’entraver les ambitions du prince héritier. Le projet est perçu par ses voisins comme un concurrent direct des grandes mégalopoles régionales telle que Doha, et surtout Dubaï ayant accueilli plus de 17 millions de visiteurs en 2023. De surcroît, ces chiffres confirment la forte concurrence dans l’attraction touristique, et de toute évidence financière et commerciale. Et cela, Mohammed Ben Salman compte bien le réalisé grâce à un élément clé du projet, sa localisation stratégique. Car situé en bordure du Golfe d’Aqaba, le projet verra transiter à sa frontière plus de 10% du commerce maritime mondial, et plus d’1,5 Million de barils de pétrole par jour. De plus, il pourra se placer en négociateur stratégique en plein conflit houthis au Yemen, toujours dans une optique de positionnement politique international. Ce projet est donc une porte ouverte, afin de devenir un hub essentiel entre l’Afrique, l’Europe, et l’Asie. De plus, il deviendrait un pivot central aux négociations et tensions régionales.

Le projet est déjà sur la bonne voie, car il a depuis peu été rejoint par la holding japonaise SoftBank, une opportunité en or pour le géant asiatique coté à la bourse de Tokyo. Mais également une association de premier ordre pour le prince héritier qui, grâce aux investissements étrangers de pays développé, il acquiert une crédibilité, et attire petit à petit d’autres pays occidentaux à rejoindre le projet. Une aubaine pour l’Arabie Saoudite qui souhaite se positionner comme médiateur des conflits aux Moyen-Orient. Une porte d’entrée aux compromis entre leaders occidentaux, et alliés du Sud global à travers les BRICS+ depuis 2024.

Cette position stratégique au niveau économique et politique permet au pays de s’imposer comme un leader, qui renforcerait la stabilité régionale en créant des opportunités d’améliorer les conditions de vie. Avec un taux de chômage chez les jeunes de près de 25%, NEOM prévoit d’embaucher plus de 380 000 personnes d’ici 2030, particulièrement dans les secteurs technologiques et industriels. En effet, la main d’oeuvre sera nécessaire en vue du développement technologique prévu. Grâce aux nombreux investissements NEOM prévoit un hub d’intelligence artificielle à Oxagon, attirant des entreprises et des talents de renommée mondiale. Plus précisément, des sommes d’un montant de plusieurs milliards de dollars sont destinées à la construction d’infrastructures intelligentes, comme des transports autonomes (le train à grande vitesse de The Line), ou des systèmes de gestion intelligente des réseaux d’énergies renouvelables.

En revanche, leur protection est essentielle pour garder la confiance des investisseurs étrangers, et assurer une bonne stabilité durable du projet dans son ensemble, et surtout de ses infrastructures critiques et essentielles. Pour chiffrer ce risque, on évaluait en 2020 une augmentation de plus de 250% des cyberattaques dans la région, ce qui souligne l’extrême importance de la cybersécurité. NEOM prévoit donc des investissements très importants dans la sécurisation des systèmes et infrastructures à risque du projet, comme les systèmes de paiement, les transports autonomes, ou encore les systèmes d’alimentation intelligents.

Nous en sommes maintenant convaincu par la vision claire et précise de Mohammed Ben Salman, il veut élever son pays au niveau des grandes puissances de ce monde, et son moyen de prédilection pour atteindre cet objectif est : NEOM. Cependant, malgré une directive bien définie, le projet relève pour l’instant d’une certaine utopie, et sur les mots de Molière, je m’appuierais en disant que « le chemin est long du projet à la chose ». Celui-ci va se confronter d’ici peu aux barrières du réel, surtout au niveau énergétique, et économique, et c’est ce que nous allons analyser. Il ne faut pas oublier de plus les implications sociales et éthiques, dans un pays ou le droit du travail n’est pas vraiment la conception qu’en a l’Europe, bien qu’elles aient vocation à être améliorées. Enfin, la question qui se pose dorénavant est : Quel avenir pour NEOM et les « mega-projets » ?

Pour commencer, en termes de développement technologique, NEOM promet d’en devenir à terme le centre mondial, avec un développement massif des technologies de pointe, notamment en matière d’intelligence artificielle. Il lui appartient également de développer des systèmes d’intégrations autonomes à l’ensemble du projet, donc sur une surface de plus de 26 000 m2.

Le projet est réalisable, à la seule condition d’un investissement colossal, mais aussi d’attirer des talents étrangers, ce qui semble difficile en vue des troubles et conflits traversés en ce moment même dans la région. Il faudrait donc développer une expertise locale, qui pose un défi considérable suite aux limites dans la recherche et le développement. Cette technologie sera le vecteur incontournable à la création d’un système énergétique 100% durable et autonome pour le projet, qui l’aiderait à se placer comme innovateur majeur à l’échelle mondiale. Dans le projet, la ville fonctionnerait avec une capacité de 58,7 GW d’ici 2030, fournie entièrement par des moyens de production durables. Actuellement, seulement 4 GW sont fournis par des productions d’énergie verte dans le pays, ce qui laisse un gap considérable avec l’objectif à échéance 2030. Pour couvrir un tel objectif, il faudrait employer caracoler les budgets alloués, afin de développer des technologies très innovantes, qui permettraient à l’Arabie Saoudite de sortir de l’économie du pétrole, et de se diversifier grandement, mais à ce niveau, un autre problème intervient.

Sur le papier, le projet devrait générer comme dit plus tôt plus de 380 000 emplois d’ici 2030, et donc grâce au développement technologique, diversifier l’économie, et réduire massivement le chômage.   La question n’est pas le moyen de sortie, mais bien encore une fois l’échéance. De plus, 87% des revenus du pays à l’export sont basés sur le pétrole, soit un processus qu’il est impossible d’arrêter du jour au lendemain. Nous sommes donc à travers ces exemples confrontés directement aux mêmes limites que le prince Mohammed Ben Salman. Parviendra-t-il à mener à bien son projet, nous ne pouvons pas nous prononcer là-dessus. En revanche, s’il souhaite parvenir à la place qu’il convoite, c’est-à-dire aux côtés des grandes puissances telles que les États-Unis, la France, ou encore ses confrères des BRICS+ comme la Chine, ou l’Inde, il devra faire face à d’autres implications sociales et éthiques de son projet, très surveillées par les grandes nations et l’ONU.

Ces implications sont malheureusement souvent les mêmes, bien que l’Arabie Saoudite ait fait de nombreuses avancées ces dernières années en matière de droit du travail, avec des réformes qui lui ont permis de remonter dans le classement CSI, bien qu’elle reste parmi les pays les moins bien classés au monte sur le sujet. Cependant, nous constatons de nets efforts afin d’augmenter le niveau de vie de sa population, ce qui n’est pas évident en vue des différents conflits de la région. Il reste en revanche certains déplacements de population qui peuvent provoquer des inquiétudes de certaines organisations et gouvernements, notamment la tribu Huwaitat, qui a suscité des critiques à l’international. Des questions sociales se posent, afin d’aider la population pour améliorer son niveau de vie. Avec une population qui comporte plus de 70% de jeunes de moins de 30 ans, le prince héritier souhaite engager des politiques inclusives louables pour les aider. La réussite de NEOM portera donc sur sa capacité à surmonter les défis économiques et technologiques, car avec un investissement de départ de 500 milliards de dollars, la viabilité est une issue cruciale, et il ne faut pas cesser d’attirer les talents, et les entreprises à rejoindre le projet. 

Pour conclure, si le « mega-projet » du Golfe d’Aqaba se réalise sans encombre, et que la vision du pays est concrétisée par Mohammed Ben Salman, cela deviendrait une réussite planétaire, et l’Arabie Saoudite serait un leader de l’innovation et de la technologie à l’échelle mondiale, et ainsi elle se hisserait aux rangs des grandes puissances comme la nouvelle « Silicon Valley du Moyen-Orient ». Un grand projet déjà concurrencé par d’autres puissances déjà en place comme la Chine, avec sa cité du futur. Nous pourrons cependant avoir un aperçu des difficultés rencontrées en mettant l’oeil sur la ville de Masdar aux Émirats Arabes Unis, un projet moindre vis à vis de NEOM, mais qui rencontrera sûrement les mêmes difficultés. 

Nous avons donc ici un projet très prometteur, avec une initiative puissante de la part du prince héritier Mohammed Ben Salman, qui vise à développer et à faire croître l’influence de l’Arabie Saoudite à l’échelle mondiale. Le projet fera sûrement face à quelques difficultés, que l’avenir nous révèlera, mais qui si elles sont surmontées, soit grâce à l’attrait des talents et au développement technologique, soit aussi à une aide de ses alliés, permettront de hisser le pays à une place prééminente du monde de demain.



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